Hybridité
Sortir l’art des lieux classiques d’exposition pour l’installer
à la faculté d’Economie et de Sciences politiques
c’est mettre en relation deux espaces de liberté par ailleurs
fermés sur l’extérieur : l’Université
et l’univers de l’art contemporain. C’est aussi affirmer
la dimension anthropologique de l’art. À la manière
d’un miroir, l’œuvre introduit une distance critique
à l’égard du contexte culturel auquel elle renvoie.
L’artiste traduit en un langage visuel, la réalité
sociale dont il devient le médiateur avec le public.
Au sens culturel, l’hybridité est le résultat d’un
processus d’intériorisation d’éléments
étrangers (mots, idées, valeurs) par une culture ou un individu.
Au plan artistique, elle signifie l’appropriation d’éléments
culturels, esthétiques ou visuels pour la production d’une
oeuvre « originale », différente à
la fois du modèle emprunté et du contexte de l’œuvre.
L’idée d’hybridité n’est pas péjorative.
Elle cherche seulement à exprimer la tendance actuelle aux emprunts
culturels dans le contexte d’une mondialisation croissante ;
Ce qui ne signifie pas la standardisation à l’américaine
mais la production de différences culturelles grâce à
la réappropriation des emprunts extérieurs.
La peinture de Khaled HAFEZ établit un parallélisme visuel
entre Anubis et Batman et associe ainsi les icônes du consumérisme
américain à celle de la religion pharaonique. Cette juxtaposition
du sacré et du profane constitue une critique du matérialisme
occidental et rappelle la démarche des artistes du mouvement pop
des années 1950 et 1960. Cette critique commune signifie que l’Egypte
comme l’Occident se trouve confrontée à la diffusion
de la culture de masse et de consommation. Surtout, cette juxtaposition
d’images sacrées et d’images profanes, dans un contexte
où les valeurs restent largement d’inspiration religieuse,
affirme une spécificité par rapport à la tendance
occidentale au relativisme absolu, au nivellement et à la crise
des valeurs qui l’accompagnent.
Cette hybridité des œuvres pose la question de l’identité
et de la différence culturelle. La mondialisation artistique qui
se traduit par des emprunts aux autres cultures entraîne parfois
la crainte de l’acculturation ou celle de l’uniformisation
des critères artistiques selon les standards occidentaux. Toutefois,
l’emprunt n’implique pas la copie et signifie que les contextes
présentent des similitudes. Au-delà des points communs,
les emprunts extérieurs replacés dans un contexte spécifique
prennent une dimension nouvelle et différente.
La spécificité culturelle n’est donc plus uniquement
le fruit de l’appartenance à un territoire délimité
comme l’Etat-nation. La ré appropriation permet de produire
de la différence culturelle ou artistique au-delà du modèle
emprunté. Ce mécanisme est le résultat d’un
ajustement perpétuel à un contexte mouvant articulant plusieurs
échelles de références culturelles. L’œuvre
ainsi produite, semble être tout aussi insaisissable que l’identité
culturelle à la fois spécifique et hybride.
Victoria Chenivesse-Ambrossini
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